En 1964, Ariane Mnouchkine établissait, avec ses camarades issus du théâtre universitaire, une coopérative à l’enseigne du Théâtre du Soleil, un nom qui signifiait ce que le théâtre représentait à leurs yeux. Ils s’engageaient dans l’activité professionnelle en interprétant, au Théâtre Mouffetard, « Les Petits Bourgeois » de Gorki dans l’adaptation d’Arthur Adamov.

Leur deuxième spectacle, « Le Capitaine Fracasse », tiré par l’un d’eux, Philippe Léotard, du roman de Théophile Gautier, déclarait l’originalité, dans le théâtre français, d’une recherche fondée sur l’organisation collective, règle de leur travail. L’improvisation en a été une source. Pourtant, si chacun proposait et si le spectacle bénéficiait de l’imagination de tous, la personnalité du Théâtre du Soleil apparut liée fondamentalement à celle d’Ariane Mnouchkine qui menait et orchestrait le jeu.

Une double ambition anima le Théâtre du Soleil : inventer les formes d’une théâtralité, d’un art poétique propre à la scène qui imposât la réalité humaine, sociale, politique, du spectacle : des tréteaux de parade foraine où des bateleurs, dans « 1789 », se faisaient l’écho d’une révolution en marche au truchement de grandes marionnettes pour « Les Tambours sur la Digue » d’Hélène Cixous ou à l’espace dérisoire de petites plates-formes roulantes du « Dernier Caravansérail », image de la condition immigrée à travers le monde.

« 1789 », créée en 1970, au Piccolo Teatro de Milan, puis à Paris, lors de l’installation du Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, répondait au souci de l’équipe de trouver un contenu commun aux acteurs et aux spectateurs. Avec la Révolution de 1789, au départ de la société d’aujourd’hui, ils entendaient affirmer un regard critique sur l’Histoire en train de s’écrire. Celui-ci les a portés, et d’abord Ariane Mnouchkine, à s’engager avec rigueur dans les combats pour la liberté et contre les injustices, en artistes, sans sacrifier au didactisme. Si « 1789 », suivi de « 1793 » et de « l’Age d’or », si d’autres spectacles ont illustré la pratique de la création collective sur un thème, Ariane Mnouchkine a réalisé, pour le plaisir pur du théâtre, une recréation en vérité de « Richard II », « La Nuit des Rois », « Henry IV » de Shakespeare en inventant un langage visuel et gestuel dépaysant, s’ajustant merveilleusement à la nature de dramaturgie shakespearienne. Elle a renouvelé l’expérience avec la tragédie grecque, « Agamemnon » et « Les Euménides » d’Eschyle, et « Iphigénie à Aulis » d’Euripide. De même, elle a su restituer la force satirique originale du « Tartuffe » de Molière en situant l’action aujourd’hui dans une communauté islamiste avec la radicalité de ses traditions et de ses interdits brimant la femme.

Elle a donné deux puissantes fresques dramatiques d’Hélène Cixous, inscrites dans l’histoire contemporaine mondiale : « L’Histoire Terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge » en 1985 et « L’Indiade ou l’Inde de leurs rêves » en 1987.

Dans le choix de leur répertoire, Ariane Mnouchkine a toujours préservé la liberté de son inspiration ; le Théâtre du Soleil demeure en mouvement, en création.